Cass. soc. 5-7-2023 n° 22-10.158 FS-B, Sté CCA Holding c/ J.
La Cour de cassation fait une stricte application de la notion de groupe de reclassement au sens des ordonnances de 2017, en refusant d’y inclure une société sous l’influence notable de l’entreprise dominante.
Les ordonnances « Macron » du 22 septembre 2017 ont modifié la notion de groupe pour le reclassement d’un salarié victime d’une inaptitude physique d’origine professionnelle ou non professionnelle en retenant dorénavant une définition « capitalistique » du groupe calquée sur le droit commercial.
Avant et depuis 1995, la Cour de Cassation jugeait que le reclassement du salarié inapte devait être recherché parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettaient d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, peu important l’existence de liens juridiques ou capitalistiques entre les sociétés (Cass. soc. 24 octobre 1995, 94-40.188, P).
En dernier lieu, cette analyse avait conduit à des solutions discutables imposant, par exemple, à l’employeur appartenant à une fédération (Cass. soc. 12 octobre 2011, 10-18.038, F-D) ou exerçant dans le cadre d’un contrat de franchise (Cass. soc. 15 mars 2017 15-24.392 FS-D) d’y rechercher des postes de reclassement, dès lors que les permutations de personnel étaient possibles.
Le périmètre de la recherche de reclassement a été restreint par les ordonnances de 2017 puisque dorénavant, et sauf dispense expresse du médecin du travail, l’inaptitude du salarié impose à l’employeur de rechercher un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l’application de ces dispositions, le groupe est celui formé par « une entreprise, appelée “entreprise dominante”, et les entreprises qu’elle contrôle », cette notion étant définie par référence à l’article L 233-1, aux I et II de l’article L 233-3 du Code de commerce, ainsi qu’aux critères fixés par l’article L 233-16 du même Code, relatifs à la consolidation comptable. Et le critère des possibilités de permutation de personnel, tel que défini par la Cour de Cassation, a été incorporé dans la définition légale du groupe de reclassement.
Il est à noter que la même définition a été retenue par les ordonnances de 2017 pour l’appréciation du motif de licenciement économique et du reclassement préalable à un tel licenciement.
Dans l’affaire soumise à la Cour de Cassation le 05 juillet 2023, un salarié licencié pour inaptitude physique soutenait que l’employeur avait manqué à son obligation de reclassement en n’incluant pas dans le périmètre de reclassement l’une des sociétés du groupe et les juges du fond avaient donné raison au salarié, après s’être penchés sur le rapport du commissaire aux comptes de la société mère du groupe.
Selon la Cour d’Appel, la société litigieuse faisait partie du périmètre consolidé du groupe : elle était en effet désignée dans ce rapport comme faisant partie du groupe « au titre des sociétés consolidées par mise en équivalence », et comme filiale du groupe avec une participation de 48,66 %.
La Cour de Cassation a censuré cette analyse en deux temps.
En premier lieu, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation s’est penchée sur la définition du groupe telle que visée par l’article L 1226-2 du Code du travail en rappelant que, selon l’article L 233-16 du Code de commerce, les sociétés commerciales établissent et publient chaque année des comptes consolidés ainsi qu’un rapport sur la gestion du groupe, dès lors qu’elles contrôlent de manière exclusive ou conjointe une ou plusieurs autres entreprises. Ces documents permettent de définir le périmètre du groupe.
Puis elle a déduit de la combinaison des articles L 233-17-2 et L 233-18 de ce Code que sont comprises dans la consolidation, par mise en équivalence, les entreprises sur lesquelles l’entreprise dominante exerce une influence notable.
Or, pour la Chambre Sociale de la Cour de Cassation, une influence notable n’est pas constitutive d’un contrôle au sens du Code de commerce.
En effet, en droit, l’influence notable est « le pouvoir de participer aux politiques financière et opérationnelle d’une entité sans en avoir le contrôle » (Règl. ANC 2020-01, art. 211-5), et elle est présumée dès qu’une société dispose, directement ou indirectement, d’une fraction au moins égale à 20 % des droits de vote de cette entité (C. com. art. L 233-17-2 et Règl. ANC 2020-01 art. 211-5).
La Cour de Cassation en a conclu que les juges du fond ne pouvaient pas se baser sur ce seul élément pour décider que la société litigieuse faisait partie du groupe de reclassement.
En second lieu, la Cour de Cassation a rappelé que le contrôle des juges du fond doit porter non seulement sur la définition du groupe, au sens du Code de commerce, mais également sur les possibilités de permutation de salariés. Seule une entreprise contrôlée par l’entreprise dominante du groupe et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel fait partie du groupe de reclassement.
En l’espèce, en n’effectuant pas cette recherche, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision. Il appartiendra donc à la Cour d’Appel de renvoi de réexaminer ces deux points pour décider si le licenciement du salarié reposait, ou non, sur une cause réelle et sérieuse.