La Cour de cassation avait prévenu, elle l’a fait.
Dans une série d’arrêts du 13 septembre dernier, la Chambre sociale a décidé de mettre les règles du droit à congés payés en conformité avec le droit européen.
On rappelle que le droit du travail français ne prend en compte ni les périodes d’absence pour maladie non professionnelle ni celles pour maladie ou accident d’origine professionnelle au-delà d’un an pour le calcul des congés payés.
La Cour de cassation avait alerté à plusieurs reprises les pouvoirs publics sur la non-conformité des textes français avec les dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 (article 7) et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (article 31 § 2).
La directive de 2003 accorde en effet au salarié un droit à congé annuel minimal de 4 semaines qui n’est pas réduit en cas d’absence pour raison de santé. Mais la directive européenne n’est pas directement applicable dans les litiges entre particuliers.
Par contre, une décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne de 2018 a jugé que les dispositions de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sont directement invocables devant les juridictions nationales. En cas de non-conformité, le juge national doit alors laisser inappliquées les dispositions non conformes.
C’est précisément ce qu’a fait la Cour de cassation dans ces arrêts du 13 septembre 2023 en écartant l’application du droit du travail français, afin de garantir les droits des salariés à congés payés.
Elle a donc jugé que, pendant les périodes de suspension de son contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle, le salarié continue à acquérir des droits à congés payés, écartant ainsi les dispositions françaises qui subordonnent le droit à congé à l’accomplissement d’un travail effectif.
De même, en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, la Cour de cassation écarte les dispositions nationales qui limitent à une suspension ininterrompue d’un an la période pendant laquelle le salarié peut acquérir des droits à congés payés.
Dans ces deux affaires, la Cour de cassation a pris en compte la totalité des absences des salariés dans le calcul de leurs droits à congés payés.
Le message de la Cour de cassation est clair : dans le cadre de la période de référence en cours, les employeurs doivent tenir compte des absences pour maladie, afin de calculer, voire recalculer, le nombre de jours de congés payés acquis ou en cours d’acquisition.
Par ailleurs, la question de la régularisation des périodes de références antérieures se pose sérieusement.
En effet, dans un autre arrêt du 13 septembre 2023, la Cour de cassation a précisé les conditions de la prescription de l’action en paiement de l’indemnité de congés payés.
Selon l’arrêt, cette prescription court à compter de la fin de la période au cours de laquelle les congés auraient pu être pris. Mais les juges précisent que ce délai de prescription de 3 ans ne commence à courir que « si l’employeur justifie avoir accompli l’ensemble des diligences qui lui incombent légalement pour assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé ». A défaut le délai n’ayant pas commencé à courir, la prescription ne pourra être opposée au salarié.
Cette décision n’est pas en soi une surprise au regard des alertes lancées par la Cour de cassation : les gouvernements successifs ont eu largement le temps de mettre les dispositions du code du travail en conformité avec les règles européennes.
Mais on ne peut également que regretter la légèreté de la haute juridiction qui ne semble pas avoir mesuré l’impact de ces arrêts sur les situations antérieures…
Quoiqu’il en soit, le revirement de la Cour de cassation aura des conséquences économiques assez lourdes pour les entreprises.
En attendant, les employeurs doivent réagir et s’organiser :
- En informant les salariés sur la période de prise des congés et sur l’ordre des départs et en conservant la preuve de cette information ;
- En contrôlant la prise effective des congés des salariés et, au besoin, en leur imposant les dates des congés (en respectant les délais de prévenance).
Il serait par ailleurs opportun que le législateur intervienne très rapidement pour accompagner les conséquences de ces décisions en fixant une durée maximale de report des congés. En effet, selon la jurisprudence de la CJUE, le droit européen ne s’oppose pas à ce que soit prévue, par la loi nationale ou par la négociation collective, une période maximale de report de 15 mois.
Sources :
- soc. 13 septembre 2023 n° 22-17.340 FP-BR
- soc. 13-9-2023 n° 22-17.638 FP-BR
- soc. 13-9-2023 n° 22-10.529 FP-BR