En cette période électorale troublée où l’actualité politique s’invite dans les conversations, y compris dans l’entreprise, il reste utile de s’interroger sur les limites que peuvent apporter les employeurs pour éviter les polémiques nuisibles au bon fonctionnement de l’entreprise.
La Cour de cassation en a récemment offert une illustration en répondant à la question de savoir si l’employeur était fondé à licencier un salarié ayant manifesté ses convictions politiques auprès de ses subordonnés.
En l’espèce, un salarié employé en qualité de responsable de secteur s’était rendu coupable, selon son employeur, de propagande politique en remettant à des subordonnés des plaquettes d’information émanant de son parti politique. Il avait ainsi remis ce programme politique à l’une des salariés, à l’issue d’une cérémonie de remise de trophées à laquelle ils participaient tous les deux pour représenter l’entreprise. De même, il avait remis ce programme à un autre salarié, engagé comme commercial.
Ces faits caractérisaient selon l’employeur un acte de prosélytisme politique vis-à-vis de subordonnés dans un cadre non dépourvu de tout lien avec la vie de l’entreprise. Le salarié a alors saisi la juridiction prud’homale en contestation de son licenciement.
La Cour d’appel de Bordeaux a condamné la société à payer diverses sommes à titre d’indemnité de licenciement, d’indemnité compensatrice de préavis et d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation. Devant la chambre sociale, il soutient « qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut fonder son licenciement lorsqu’il se rattache à sa vie professionnelle » et maintient que les agissements de prosélytisme politique vis-à-vis de subordonnés dans un cadre non dépourvu de tout lien avec la vie de l’entreprise, sont fautifs.
La Cour de cassation rejette le pourvoi, écartant les arguments de l’employeur. Selon la Chambre sociale, en effet, « un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ». Or au cas d’espèce, selon la Cour, même si les activités de propagande politique avaient été effectuées à l’égard de salariés placés sous sa subordination, les faits reprochés au cadre avaient été commis en dehors du temps et du lieu de travail.
Dès lors, ces faits tirés de la vie privée du salarié qui était libre d’exercer ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques, ne constituaient pas un manquement aux obligations découlant du contrat de travail.
La Cour de cassation précisant que ces faits, commis en dehors du temps et du lieu de travail, ne sont pas fautifs, faut-il en déduire que la solution aurait été différente s’ils avaient été commis dans le cadre du travail ?
Pas nécessairement : en effet les salariés sont libres de leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques et de les exprimer dans l’entreprise au temps et au lieu du travail. En conséquence, une restriction apportée à cette liberté d’expression et d’opinion dans le règlement intérieur de l’entreprise est en principe illicite (Conseil d’Etat, arrêt SITA 25 janvier 1989 n°64296, Lebon), voire discriminatoire.
Mais le code du travail tolère des restrictions apportées aux droits et libertés si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (C. trav. art. L.1121‑1 et art. L.1321-3).
Ainsi, le règlement intérieur peut contenir une clause de neutralité interdisant aux salariés d’exprimer leurs convictions politiques à condition d’une part que cette prohibition vise indifféremment et de manière générale toute manifestation d’opinion religieuse, philosophique et politique, et d’autre part qu’elle soit justifiée par des intérêts légitimes (C. Trav. art. L.1321-2-1).
Par ailleurs, pour la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), comme pour celle de la Cour de cassation, la volonté d’une entreprise d’afficher, dans les relations avec les clients, une neutralité politique, philosophique ou religieuse doit être considérée comme légitime en application de la liberté d’entreprendre (CJUE 14 mars 2017, aff. 157-15 et aff. 188/15 et Cass. Soc. 22 novembre 2017 n°13-19.855).
Cette interdiction ne peut toutefois être appliquée qu’aux seuls salariés en contact avec la clientèle.
Enfin, l’expression de la liberté d’opinion politique doit demeurer dans les limites du raisonnable et ne pas dégénérer en abus, lequel pourrait alors constituer un motif disciplinaire de licenciement : ainsi, est justifié le licenciement pour faute d’une assistante dentaire ayant approuvé l’attentat de Charlie Hebdo (CA Aix-en-Provence, 20 décembre 2019, n° 17/03533).
De même, un fait tiré de la vie privée peut constituer une cause réelle et sérieuse (non disciplinaire) de licenciement s’il a causé un trouble objectif et caractérisé au bon fonctionnement de l’entreprise. Ainsi, dans le cas d’espèce, si la remise de ce programme politique avait provoqué un incident entre les salariés de nature à compromettre leurs relations professionnelles, cette situation aurait pu justifier un licenciement du « militant politique », sans toutefois pouvoir poser le débat sur le terrain de la faute disciplinaire (Cass. Soc. 9 mars 2011 n°09-42.150).